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13 mars 2009 5 13 /03 /mars /2009 15:01

Entretien avec Eric Baratay


Age des machines, le XIXe siècle a aussi été celui des animaux domestiques, exploités comme jamais et méthodiquement adaptés aux besoins humains.

 


Voilà vingt ans que vous vous intéressez à la I relation entre l'homme et l'animal. Pourquoi placez-vous son point d'orgue à la fin du XIXe siècle ?
Il n'y a jamais eu autant d'animaux utilitaires dans les villes et dans les campagnes avant cette époque. Et il n'y en aura jamais plus après. L'animal est alors tout le temps présent. C'est également l'époque où l'homme tente d'adapter l'animal à ses besoins : des races anciennes sont améliorées et l'on en crée de nouvelles par croisements.

A chaque tâche, son animal en quelque sorte ?
Effectivement. Une distinction nette est ainsi faite entre le cheval destiné à tracter l'omnibus et celui qui devra haler des matériaux par exemple. Dans le premier cas, on estime que le cheval doit pouvoir tirer en restant au trot et s'arrêter à la demande. Ce sera le percheron. Dans le second cas, on attelle un boulonnais, apte à travailler beaucoup plus longtemps. Dans les mines, c'est la taille de la galerie qui conditionne la race : un cheval belge pour les plus larges, un breton pour les moyennes et un poney russe pour les autres.

Quels sont les symboles de cette vie totalement imbriquée ?
Tout provient alors des animaux. A tel point qu'à Paris et dans les grandes villes européennes, la première révolution industrielle - entre 1780 et 1880 - est essentiellement fondée sur l'animal. Le lait et la viande se démocratisent, on trouve de plus en plus de laine, de cuir, de fourrure. Se développent également les fabriques de colle, de savons, de chandelles, d'engrais, de parfums... Les animaux vont transformer la vie urbaine. A Paris, toutes les compagnies de transport calent leurs horaires et leurs cadences sur le rythme des chevaux. Les odeurs, le bruit des animaux... font partie du quotidien. Leur mort également. Pour récupérer les cadavres de chevaux laissés en pleine rue, morts de fatigue par exemple, la voirie de Paris met en place un service de ramassage spécifique. De même pour les charognes de chiens que les gens jettent sur les tas d'ordures ou à la rivière.



Les animaux domestiques, notamment les chiens, étaient donc encore loin d'avoir acquis leur statut de compagnon de la famille ?
Dans un traité d'éducation du chien daté de 1842, le chien de compagnie occupe un chapitre sur les vingt du livre... A cette époque, il est avant tout un animal de travail servant pour la chasse, la surveillance des troupeaux et un peu pour garder la maison. Il fait encore peur : il véhicule la rage et est sujet à des maladies de peau.

La relation de l'homme à l'animal serait le reflet de chaque société ?
Nous ne cessons de plaquer nos normes sur la condition animale. L'augmentation de la taille des enclos dans les zoos est ainsi directement corrélée avec celle des habitats humains. Inversement, la dégradation de la condition animale est la conséquence de la dégradation de la condition humaine. La montée actuelle du degré de violence dans notre société a pour corollaire une certaine recrudescence des combats d'animaux, notamment de chiens. Conséquence : un comportement de défiance vis-à-vis de certaines races, alimenté par cette fausse croyance qu'elles seraient dangereuses. Or ce phénomène n'est que le symptôme de la violence des maîtres, pas des animaux.

Avons-nous tendance aujourd'hui à trop humaniser nos animaux domestiques ?
La sollicitude envers les animaux n'est pas nouvelle. Elle démarre dès la seconde moitié du XIXe siècle avec l'apparition de l'hygiène, des médicaments, d'une meilleure alimentation. Encore une fois, ces améliorations ne font que suivre ce qui se passe à la même époque pour l'homme. C'est une constante, un pays riche aura systématiquement tendance à consacrer plus d'argent à ses animaux. Je n'adhère pas au discours qui voudrait qu'on en fasse trop pour les bêtes. La figure du «chienchien à sa mémère» est présente dès l'Antiquité. Déjà à cette époque, elle sert d'argumentaire à un discours moraliste sur la prééminence de l'homme. Mais diminuer l'attention portée aux animaux ne permettra pas de mieux lutter contre la pauvreté...

 

Hervé Ratel
Sciences et Avenir

 

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